Mr. Leng Ouch

Leng Ouch: une poigne de fer contre le trafic de bois

dans Économie durable par

Au mépris de sa vie, il a entrepris de lutter sans relâche contre le pillage des forêts de son enfance. Ce qui lui a valu d’être le récipiendaire des prestigieux Prix Goldman pour l’environnement pour la région Asie en avril dernier. Mais le trafic reprend, et le Zorro des bois du Cambodge doit reprendre du service illico.

En menaces de mort, il s’y connait. «Ils veulent me tuer. Mais ça ne me fait pas peur. Je veux seulement faire mon travail». C’est ce que confiait Leng Ouch lors d’une équipée avec une correspondante de Channel News Asia. Ce  militant écologiste et avocat des droits de l’homme aurait pourtant bien des raisons d’avoir peur.

Son collègue militant Chut Wutty se faisait assassiner en 2012 alors qu’il accompagnait deux journalistes. En novembre dernier, un garde forestier et un agent de police ont été abattus lors d’une patrouille contre le braconnage et l’exploitation de bois précieux. Sort quasi semblable pour Phon Sopheak, une de ses amies écologistes attaquée à la hache en pleine nuit dans la forêt en mars 2016… Menacés par la police militaire et recherchés par cette véritable mafia que sont les magnats du bois, Ouch et sa famille ont dû se cacher à plusieurs reprises.

Leng Ouch Photos: Goldman-Environmental-Prize.org

Leng Ouch

Photos:Goldman-Environmental-Prize.org

20 ans que cela dure. Soit depuis le moment où il s’est mis dans l’idée de sauver les forêts du Cambodge et ses habitants. Car le commerce du bois est l’un des plus lucratifs de ce pays asiatique, détenant même un triste record mondial, celui de la plus rapide perte de couverture forestière de ces 13 dernières années, selon une étude publiée en septembre 2015 par la Global Forest Watch.

L’année dernière, le Cambodge est devenu la principale source d’importations de bois pour le Vietnam. Au moins 435,600 m3 de grumes d’une valeur de plus de 380 millions de dollars américains ont quitté ses frontières pour le Vietnam, selon les statistiques douanières du Vietnam obtenues par le groupe environnemental américain Forest Trends. Ce qui représente près de 15,000 % d’augmentation en une année. Parmi,  82% ont été classés comme du bois précieux ou de luxe. Celui-là est principalement réexporté vers la Chine, Hong Kong et l’Inde ou sont transformés en produits semi-finis pour les marchés mondiaux.

Dans l’espoir d’attirer l’attention de la communauté internationale sur le cas du Cambodge, Ouch a dû se déguiser pour accumuler des preuves. Tantôt chauffeur, tantôt touriste, cuisinier, ouvrier ou marchand de bois, les photos qu’il a prises, ses séquences vidéo et ses reportages fait-maison ont été rendus publics pour démasquer les magnats du bois et exposer la collusion qui existe entre les compagnies forestières et les responsables gouvernementaux du plus petit au plus grand.

Conséquemment, le gouvernement avait dû annuler la concession de près de 90 000 hectares de forêts aux entreprises de sylviculture en 2014. En janvier de cette année, le Premier ministre Hun Sen a dû imposer une interdiction de toute exportation de bois vers le Vietnam, ordonnant dans la foulée la fermeture des passages frontaliers Cambodge-Vietnam, avec arrestations à l’appui et confiscation de grumes par milliers.

Mais graduellement, le trafic a repris. Dans une moindre envergure certes, mais encore trop au goût de Leng Ouch. « Il y a peu de suivi juridique par les autorités. Une enquête sur le terrain suggère que la plupart du bois prétendument confisqué a déjà trouvé son chemin à travers la frontière vietnamienne, » déplore ce dernier.

Pour à nouveau démanteler ce trafic qui se fait de plus en plus sophistiqué, Leng Ouch œuvre pour empêcher que le gouvernement ne délivre de permis de déboisement additionnels et aussi pour que les entreprises forestières restituent les terres au gouvernement au bénéfice des propriétaires légitimes. Il travaille aussi avec une équipe d’avocats sur les politiques internationales dans le but de freiner l’exploitation forestière illégale.

Pour attirer l’attention de la communauté internationale, Ouch a dû se déguiser pour accumuler des preuves

Autant d’efforts qui lui avaient valu de devenir le récipiendaire pour la région Asie de l’illustre Prix Goldman qualifié d’équivalent du Prix Nobel dans le domaine de l’environnement. Cette récompense comporte une dotation de 175000 dollars permet à chaque lauréat de poursuivre son combat. Elle est remise chaque année à six militants de terrain qui se sont illustrés dans le monde pour leurs actions en faveur de l’écologie.

Né dans la province de Takéo, à environ 50 km de Phnom Penh, la capitale du Cambodge, environ deux ans avant que commence le régime du despote Pol Pot en 1975, Leng Ouch avait six ans quand sa famille fut dépossédée de leur terre. Dans une interview accordée en marge du Prix Goldman, il expliqua comment sa famille et lui devait se déplacer de forêt en forêt pour essayer de survivre pendant la dictature. Pour payer l’école, il devait balayer les planchers et pour faire ses devoirs, il faisait les poubelles pour trouver du  papier. C’est grâce à une bourse d’études qu’il obtenait une place à l’université…

Les raisons du saccage des forets cambodgiennes sont diverses, à commencer par l’introduction par le gouvernement de concessions foncières pour stimuler l’économie et créer des emplois pour les populations locales. Ceux choisis ont le droit de défricher la terre pour l’agriculture, couper tous les arbres qui s’y trouvent, installer des scieries et exporter le bois coupé. Pire: la politique du gouvernement vis-à-vis du Vietnam, un des pays importateurs de son bois a parachevé la razzia. Les procédures d’importation ont en effet été simplifiées et les transbordements autorisés à toutes les portes de la frontière entre les deux pays. Au même moment, deux Etats voisins : le Laos et le Myanmar stoppaient net l’exportation de leur bois pour cause de surexploitation. Restaient alors les forêts du Cambodge pour assouvir les exigences des clients. Mais c’était sans compter la farouche détermination d’un certain Leng Ouch.

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